COMPTE RENDU DE LA RENCONTRE D’INFORMATION et de DÉBAT DROGUES ? DÉPENDANCES ? TRAFICS ?

La Commission Cités et Lieux Sensibles du Comité de Quartier

Minimes-Barrière de Paris a organisé le 27 novembre 2018 une

RENCONTRE D’INFORMATION et de DÉBAT

DROGUES ? DÉPENDANCES ? TRAFICS ?

QUELS CONSTATS ? QUELLES PERSPECTIVES ?

À la maison de la Citoyenneté des Minimes

Avec pour INTERVENANTE : Mme Martine Lacoste, Directrice Générale de   l’Association régionale Clémence Isaure –   Toulouse

Vice-présidente de la Fédération Addiction

Depuis trois ans , devant la montée des nuisances et incivilités témoignée par les habitants de plusieurs cités du quartier ainsi que dans le secteur La Vache , le comité a créé une commission dédiée à ces difficultés avec des actions spécifiques. Ces 4 secteurs : Bourbaki, Négreneys, Mazades, la Vache, représentent environ 8000 habitants.

Nous avons bien sûr constaté que ces nuisances découlaient également des trafics de produits stupéfiants, mais pas que ! .

Une économie souterraine spécifique est en place. Bien sûr, ce n’est pas la seule cause de la dégradation des conditions de vie des habitants :

  • habitat altéré
  • peu ou pas de lieux d’échanges et de rencontre
  • faible mixité économique
  • sentiment d insécurité suite à l’occupation de certains lieux par les acteurs du trafic (halls d’immeubles, etc)
  • manque d’activités ( sportives , musicales …) pour les jeunes
  • manque de perspectives sociales ( accès aux stages , à l’emploi) . Chômage massif .et concertation des difficultés.
  • Pas de politique d’insertion, d’emploi pour les jeunes (17 /25 ans) en particulier.

Face à cela, nous pensons qu’il faut retisser le lien entre les habitants et qu’ils réinvestissent l’espace public. Dans cet objectif, nous avons, avec d’autres acteurs locaux :

  • -organisé de nombreuses réunions avec les habitants pour évaluer leur difficultés et leurs souhaits.
  • créé des animations : repas partagé, fêtes…
  • rencontré les acteurs politiques et autres intervenants
  • (police, club de prévention)
  • initié des propositions d’actions et d’activités
  • relayé les demandes (lieu accompagné pour les jeunes)

Car nous sommes persuadés que là où les habitants se rencontrent, échangent, sont présents et actifs dans l’espace public, la délinquance recule, et le «  bien vivre ensemble »progresse .Nous nous situons donc également dans une action de médiation, tout en invitant les habitants à s’investir pour agir par eux mêmes. La médiation sociale vise à analyser les phénomènes, afin d’essayer de les réguler pour éviter l’exaspération et la confrontation, pour que chacun vive mieux ensemble, en évitant d’exaspérer l’autre. La qualité du lien social est donc essentielle. Il faut rechercher des alliances, passer de la logique d’affrontement, à une logique d’intérêts partagés.

Mais si ces actions multifactorielles sont nécessaires, elles ne suffisent pas .

En effet nous nous heurtons à un phénomène ,et à une politique nationale dont nous constatons l’échec, en terme de lutte contre les trafics, depuis presque 50 ans , date de la loi de 1970 , organisant la répression et le soin en matière de toxicomanie.

Nous savons que la dimension économique et le cadre juridique sont primordiaux pour les situations auxquelles nous sommes confrontés, tout comme l’apport d’alternatives efficaces.

En 2017 les flux financiers ont été intégrés au calcul du produit intérieur brut de la France, selon les calculs de l’INSEE cela représenterait 2,7 milliards d’euros, 0,1% du PIB ou encore 10,8% .

Par exemple, le montant estimé de l’économie des trafics en Seine Saint Denis représente deux fois le montant du RSA et de l’allocation adultes Handicapés versées par le Département. Les trafics sont le deuxième employeur du département après la plate- forme aéroportuaire de Roissy Charles De Gaulle.

Le cannabis, qui représente 80 à 90%des trafics est le produit le plus couramment utilisé par 4,6 millions de consommateurs dans l’année ; plus de 130  000 personnes sont impliquées dans le trafic ; 200 000 personnes cultivent le cannabis en France. Pour un prix de détail compris entre 5 et 10 euros le gramme, soit plusieurs millions d’euros, comme nous venons de le voir, avec une moyenne de 60 tonnes saisies par an.( sources Vincent Benso sociologue 2017).Entre 120 000 et 140 000 personnes seraient concernées par l’économie des trafics du plus petit revendeur au plus gros (selon l’observatoire des drogues et des toxicomanies 2007).

Si les actions de Réductions Des Risques et des Dommages et le Soin ont eu des résultats , sans parler de la Prévention, parent pauvre des actions, ce n’est pas le cas de la répression . Car notre pays ,qui a la législation la plus répressive en Europe est aussi le plus gros consommateur, alors que l’on tient compte maintenant dans le calcul du PIB de l’économie, du Trafic de stupéfiants , tant c’est important.

Quelles alternatives, quelles régulations pouvons nous envisager?

 A partir de ce texte de problématiques, nous avons eu de nombreux échanges entre les participants, les animateurs et Mme Lacoste à partir de ces présentations et interventions . Nous avons tout d’abord dans un premier temps abordé les questions du phénomène des addictions, des dépendances, des différents produits , de la prévention et du soin .

Puis, dans une deuxième partie les différentes législations en matière de stupéfiants , son historique en France en termes de répression et de soin ainsi que les exemples d’autres pays , avant de quantifier le phénomène tant au niveau des consommateurs , de l’économie des trafics , sa place dans la cité , avant d’envisager les alternatives possibles .

     PREMIÈRE PARTIE :   LE PHÉNOMÈNE DES ADDICTIONS ET DES DÉPENDANCES

     LES DIFFÉRENTS PRODUITS, LA PRÉVENTION ? LE SOIN  

 QUESTIONS DES PARTICIPANTS :

Comment donner l’envie d’arrêter ?

Quels moyens/outils peuvent aider les parents d’un enfant qui consomme ? Comment voir, comment réagir, comment avoir de l’aide ?

Vers qui orienter ?

Sur 20 ans, on constate une expansion énorme des trafics dans les villes notamment. Comment l’expliquer ?

La médiation : quel rôle et quelle place pour des habitants qui vivent des nuisances ?                                                                                                                                        

Pour la Fédération Addiction (Fédération Nationale qui regroupe les professionnels et les organismes qui oeuvrent dans la prévention et le soin des dépendances) , il faut s’attacher au comportement et pas aux produits .

La médiation : la parole des citoyens est une question profonde et humaine

HISTOIRE DE LA DROGUE, HISTOIRE DE LA RECHERHE ? DE LA DEMANDE DE DROGUE :

L’utilisation de substances modifiant les états de conscience date de la nuit des temps, des usages ont été repérés dés 2700 avant Jésus Christ. Les premières substances calmantes ont été retrouvées chez les Sumériens, utilisées par des sorciers et pour des quêtes spirituelles.

Il existe des liaisons dangereuses entre l’utilisation de certaines substances et la médecine ; ce qui a pu entraîner le développement des opiomanes et morphinomanes, cocaïnomanes, héroïnomanes.

Par ailleurs, des substances tirées des plantes ont des fonctions qui permettent de procurer du plaisir, du soulagement. Pour certains, la sensation d’atteindre Dieu, pour d’autres , de résister à la famille, au pouvoir, d’éprouver un sentiment de liberté , de non-conformité au groupe ou au contraire de se conformer au groupe . On peut éprouver une double sensation de bienfait, mais aussi de risques.

L’usage de drogues a aussi une fonction sociale et individuelle.

   Puissance de certains produits : on peut très vite se trouver dans une situation de dépendance , par -exemple :

  • l’héroïne: en 8 jours (dépendance physique)
  • cocaïne : très forte dépendance psychologique.
  • LSD-MDMA, Amphétamines (effets excitants, « speed »hallucinatoires …)
  • Cannabis, produit devenu de consommation courante et de plus en plus intégré dans la société : effet relaxant, apaisant , favorisant la convivialité ) .
  • Médicaments divers détournés de leur usage initial.

Il existe plusieurs types de comportements addictifs : d’usage, d’abus, de dépendance .

Le paradoxe dans l’histoire des produits utilisés pour se droguer, c’est que l’on a utilisé, par exemple, lac cocaïne pour décrocher de la morphine, puis on a inventé l’héroïne pour décrocher de la cocaïne, tout comme le LSD s’est développé à l’occasion de la guerre du VIETMAN, utilisé par les soldats pour tenir et échapper psychiquement à l’horreur des combats,

Nous pouvons constater que la visée médicale initiale a eu un tel succès quant à ses effets, qu’elle fut rapidement détournée pour alimenter les trafics mondiaux que l’on sait, Il faut donc être toujours très prudent dans l’utilisation à visée thérapeutique de molécules chimiques, qui ne sauraient de toute façon on le voit bien, à elles seules répondre à l’ensemble de la problématique, La dimension personnelle et humaine, l’adaptation des réponses, sont toujours fondamentales,

LA LOI NE FAIT PAS DE DIFFÉRENCE ENTRE ABUS ET DÉPENDANCE

Et pourtant, Il serait nécessaire de différencier les approches, et la manière d’aider .

Par exemple, il peut être plus dangereux d’être devant un écran toute la nuit plutôt que de fumer un joint. Il y a plusieurs formes de dépendance : aux jeux d’argent, l’addiction aux écrans, au tabac, à l’alcool. Cela peut représenter environ 70 000 personnes par an.

Pourquoi consomme-t-on ?  

Dans les années 70, le Professeur Claude Olivenstein donnait une définition du phénomène de la toxicomanie qui reste toujours valable :

C’EST LA RENCONTRE D’UN PRODUIT, D’UNE PERSONNE DANS UN MOMENT SOCIAL ET CULTUREL .

C’est donc une variable autour de trois paramètres. Mais aussi, quelqu’un qui s’est rendu malade à travers un usage, puis un abus , puis une dépendance, qui entraîne une perte totale de contrôle .

Il n’y a pas d’égalité en termes de toxicomanie : les effets personnels sont totalement individuels :

  • réactions physiques, physiologiques, psychologiques voire psychiatriques ……        
  • tout comme la vulnérabilité en termes de santé mentale : psychose, névrose ….

Pour certaines personnes, la consommation de produits modificateurs des états de conscience

peut masquer ou révéler une pathologie mentale . Par exemple, à l’adolescence, une consommation excessive de cannabis peut être l’ élément déclencheur d’une schizophrénie, ou d’une autre forme de psychose …

Tous les produits n’ayant pas les mêmes effets, chaque personne cherche le produit qui lui « convient » le mieux en fonction des effets recherchés (speed, dépassement de soi, anesthésier sa souffrance, se mettre hors du monde, planer…).

               ON NE DÉCIDE PAS DE DEVENIR TOXICOMANE

   La société offre un contexte addictogène. Tous les jours , on convoque à la consommation , on est sollicités de manière permanente et convoqués à la jouissance. (Black Friday …..)

On a remplacé le LIEN SOCIAL par un LIEN de CONSOMMATION. L’individu se sent souvent très seul. On encourage le culte de l’excès, et l’hédonisme . On est soumis à l’injonction de la performance ; il faut être le meilleur.

     Quelle attitude des parents ? Quelle vigilance ? Quelle écoute ?

   Il est nécessaire d’être vigilants et attentifs à des comportements qui peuvent être autant de signes : renfermement de l’adolescent, troubles du sommeil, problèmes scolaires , isolement.

Face à cela, les parents doivent essayer de développer une attitude d’écoute ,d’empathie, de moments partagés, de questionner ce qui a changé dans son comportement, et non de commencer par parler du produit consommé, Ils doivent essayer de gérer leur stress,

de consulter pour se faire aider  ( point écoute Jeunes /Parents  , thérapies familiales…) Car il faut malheureusement que les jeunes aillent très mal pour que les parents consultent .

Il est peut-être plus dangereux pour un adolescent de passer ses nuits devant un écran que de fumer un joint,

Les jeunes en situation de fragilité ont besoin d’adultes cohérents face à eux. Ni permissivité, ni évitement (ne pas voir), ni rigidité . Nous savons tous que c’est compliqué et que l’idéal n’existe pas.

Il existe des CONSULTATIONS JEUNES CONSOMMATEURS.

LE SOIN ?

     «  On peut obliger quelqu’un à se soigner mais pas à guérir. »

Pour toute personne prise dans les addictions il existe des raisons personnelles, des fragilités, voire des pathologies qui l’ont conduite a être dépendante, quel que soit le produit utilisé,

Le  « volontarisme » (vouloir pour l’autre ou croire que la « volonté »est la condition obligée du soin) en général ne permet pas d’aboutir, se pose alors plutôt la question de l’alliance                    thérapeutique qui est la première force de l’accompagnement : engagée entre le soignant et le soigné, la personne va pouvoir mesurer les bénéfices / risques . Pour cela, les personnes ne doivent pas se sentir jugées.

En ce qui concerne les résultats des soins et de l’accompagnement, question récurrente et systématiquement posée, on peut considérer que :

  • 30% continueront leur parcours de vie en tant que « névrosé moyen » avec des souffrances ponctuelles.
  • 30% vivront une discontinuité dans le bien-être avec des rechutes, que l’on va essayer de prévenir, avec une réduction de moitié des consommations,
  • 30% continueront dans un parcours addictif très compliqué.

 

D’où la notion de remédiation (amélioration de la santé et du lien social plutôt que l’abstinence ou rien) , qui induit de penser en termes de négociation plutôt que d’obligation .

Il ne faut pas confondre usage abusif et usage de dépendance. Plus question de ne viser seulement l’abstinence à tout prix, la question est plutôt de comment trouver la motivation et l’énergie d’arrêter la prise de produit. Ou bien encore de mieux gérer sa prise de produits, afin de réinvestir le lien à l’autre, de reprendre en mains le cours de sa vie et au final de baisser sa dépendance et d’améliorer globalement son état de santé. C’est négocier et non imposer un décrochage,

Les principaux dispositifs d’aide et de soins :

  • L’hôpital pour le sevrage
  • Les points écoutes jeunes
  • Les Centres de Soins Spécialisés aux Addictions (CSPA), avec ou sans hébergement
  • Les familles d’accueil
  • Les consultations jeunes consommateurs (en centres ou dans les lycées) mis en œuvre avec des équipes pluridisciplinaires.

LA PRÉVENTION ?

Nous avons du mal à mettre en œuvre des actions de prévention suffisantes et à la hauteur des besoins, car il n’y a pas de résultat immédiatement visible et mesurable. En terme de prévention il faut d’abord l’aide des parents.

Les moyens consacrés à ces actions pourtant fondamentales sont largement insuffisants avec des budgets éparpillés, très compliqués à obtenir, et au titre du partage des compétences font appel à des financeurs multiples. Des Consultations de Jeunes Consommateurs, doivent se mettre en place dans les lycées, dispositif qui ne sera productif que 5 ans après sa mise en place.

Pour un individu dont l’essentiel de la vie tournait autour de la prise de produit, l’alternative à trouver est essentiellement en termes de sens. Cette question du sens, si difficile quelquefois à trouver et pourtant essentielle en tant qu’alternative à l’addiction. C’est toujours la question de la perte et du bénéfice : qu’est-ce-que m’apportait le produit (plaisir, mise entre parenthèses de la souffrance, bulle protectrice, dépassement des limites ) ? Qu’est-ce-que vont m’apporter mes nouveaux choix de vie, par-rapport à la peur de décevoir les parents et à la peur de l’avenir …

ADDICTION ET TRAVAIL ?

   Dans les entreprises et en termes de santé au travail, la question du risque lié aux addictions est de plus en plus prégnante. Jusqu’à une période récente , cette réalité était peu évoquée , voire niée , mais comme dans le reste de la société , la question de la prise de divers produits au sein de l’entreprise n’est plus seulement liée à l’alcool et aux occasions festives plus ou moins     nombreuses. Notre société qui valorise et exige de plus en plus la performance, la compétition avec les autres (entreprise ou collègues ) entraîne une exigence de dépassement de soi permanente et pour de plus en plus de salariés , la prise de produits ( de type dopage), pour repousser ses limites intellectuelles et (ou) physiques , dans ce qu’on appelle la recherche de « l’homme augmenté ». Cette situation , qui se développe a évidemment des conséquences en termes de prises de risques des salariés concernés , qui représentent une proportion de plus en plus importante de l’effectif salarié concerné des entreprises .

Quelques chiffres pour illustrer l’augmentation exponentielle des consommations : entre 1992 et 1997 :

  • la moyenne des consommateurs de 18 à 64 ans qui ont expérimenté, est passée de 12,7% à 44,3 % , c’est à dire que c’est à peu près la moitié de nos concitoyens qui ont déjà consommé
  • et sont donc des délinquants au niveau de la loi,
  • pour les 18-25 ans l’augmentation est passée de 14 à 27%
  • la moyenne des usagers consommateurs de 26 à 34 ans est passée de 6% à 18%
  • un bon pourcentage des 35 à 54 ans n’a pas arrêté.

DEUXIÈME PARTIE : LES DIFFÉRENTES LÉGISLATIONS EN MATIÈRE DE STUPÉFIANTS

DE RÉPRESSION ET DE SOINS EN FRANCE ET A L’ÉTRANGER.

QUANTIFICATION DU PHÉNOMÈNE, CONSOMMATION, ÉCONOMIE DES TRAFICS .

QUELLES ALTERNATIVES ?  

Quelles régulations de l’offre, entre prohibition et contrôle du marché ?

QUESTIONS DES PARTICIPANTS ?

Quels sont les arguments pour la légalisation du cannabis en France ?

Quels en sont les enjeux économiques et sociaux ?

Que pensez-vous de l’usage thérapeutique du cannabis ?

Quel modèle pour la légalisation et la vente du cannabis ( dispensaire comme au Canada ou en pharmacie comme en Uruguay )?

Jusqu’à quelle limite peut-aller la dépénalisation , et comment l’encadrer ?

Que peut-on faire par-rapport au trafic dans les quartiers ?

Quels sont les moyens / les outils de la prévention pour les jeunes ?

LÉGISLATION ACTUELLE, la loi du 31 décembre 1970

Pendant l’été de cette année, trois jeunes sont morts d’une overdose, ce qui a entraîné une vive émotion dans le pays et à l’Assemblée Nationale.

Cette loi visait à :

  • protéger la jeunesse
  • donner un cadre d’intervention et de répression à la police.
  • -permettre à la justice de prononcer des sanctions graves et importantes.

La France interdit l’usage de substances illicites, la loi punit l’usage d’1 an d’emprisonnement et de 3 700 euros d’amende.

ELLE NE FAIT PAS DE DISTINCTION ENTRE USAGE ET DÉPENDANCES

Cependant, elle prévoit aussi un important volet sanitaire : toute personne qui est admise dans un centre de soins, aura droit à l’anonymat et à la gratuité.

Le toxicomane est à le fois considéré comme un délinquant et comme un malade (qui à ce titre doit être soigné et aidé) .

En outre, la prévention est le parent pauvre de l’action gouvernementale. Le législateur n’a pas imaginé que cette loi donnerait aussi peu de résultats et qu’au contraire, l’augmentation des consommations et du trafic serait autant exponentielle ! En ce qui concerne les consommations, la loi est devenue dans les faits peu appliquée : d’après les chiffres du Ministère de l’Intérieur , les affaires liées à la drogue ont augmenté de 14 000 à 107 000 affaires , ce qui représente une augmentation de 560% pour le cannabis et de 320% pour les autres drogues. Le Ministre Albin Chalandon avait prévu 3 000 places de prison pour les toxicomanes, 2 ans après l’interdiction de la vente libre des seringues. Devant la catastrophe sanitaire que représente l’épidémie du SIDA (7 toxicomanes sur 10 étaient séropositifs), en 1986 Mme Barzac, Ministre de la Santé fait voter un décret sur la vente libre de seringues dans un but de prévention . C’est le début des actions de réduction des risques et des dommages, déjà largement pratiquées à l’étranger

En 2018, le gouvernement vient de rajouter à la loi une amende contraventionnelle de 200 euros pour simple consommation. La crainte est que la hauteur de l’amende pousse certains consommateurs encore plus vers la précarité et la marginalité. Par ailleurs, si l’on confie à la police de proximité du quotidien une mission particulière dans ce sens, on peut craindre, notamment dans les cités que l’intégration de ces policiers dans la vie du quartier soit rendue plus difficile, en contradiction avec le but visé initialement. Ce n’est pas leur rôle d’aller d’infliger des amendes par-rapport à l’objectif de sécurité du quotidien.

La prohibition entraîne les violences du grand trafic, la criminalisation et la mise en danger des petits consommateurs et petits revendeurs. Environ 177 000 arrestations sont réalisées chaque année, ce qui représente une mobilisation importante des forces de police. On peut constater également un marquage populationnel : les condamnés d’origine noire et arabe représentent 2/3 de l’ensemble des détenus, ce qui correspond à une sur-représentativité de l’implication dans les trafics.

L’ÉCONOMIE DES TRAFICS :

La dimension économique ne peut plus être niée. Dans une société gangrénée par le chômage et la dégringolade sociale, le manque de perspectives d’avenir , en particulier dans les cités , condamne de nombreux jeunes mineurs et majeurs au trafic . Pour les petits revendeurs, ce travail représente un SMIC (10 euros de l’heure) , et paradoxalement leur donne le sentiment d’avoir un boulot et un rôle dans la cité.

Souvent, ils n’ont pas d’alternative en termes d’insertion sociale et professionnelle.

Même s’ils prennent des risques énormes : concurrence, violence, emprisonnement.

Les caïds et encadrants du trafic vont rarement en prison, ce sont surtout les intermédiaires qui sont condamnés.

QUELLES ÉVOLUTIONS ,QUELLES NOUVELLES RÉGULATIONS POSSIBLES ?

Au vu de son échec, et du changement profond de la situation de notre pays, il semble nécessaire d’abolir la loi de 1970 et d’imaginer une nouvelle législation prenant en compte l’expérience établie depuis 1970, et d’inventer un nouveau cadre législatif . Que peut-on envisager dans le cadre de nouvelles régulations ?

  • la dépénalisation de l’usage. Les produits restant interdits, cette évolution bénéfique sur le plan de la stigmatisation n’aura aucun effet sur le trafic.
  • la régulation : autoriser le cannabis avec un cadre légal, suivant le modèle adopté. Cette évolution peut apporter des améliorations en termes de sécurité, de santé et de baisse importante du trafic.

QUELS MODÈLES ENVISAGER  DANS UN CADRE LÉGAL?QUELS CONTRÔLES ?

Modèle 1 : le Portugal, l’Urugay. L’État produit le cannabis et le fait vendre. Avantages : produits connus et sécurisés (dosage en THC) , créations d’emplois ,licences aux agriculteurs et aux débiteurs , taxes éventuelles pour l’État permettant de mieux financer la prévention et le soin , baisse du trafic .

Modèle 2 : L’Espagne ou les Pays-Bas. L’usage privé est dépénalisé. L’accès au cannabis peut être communautarisé à travers des socials clubs (lieux d’achats et de consommation comme les coffe shops au Pays-Bas). Il faut être parrainé pour en faire partie. Avantage : recréer des formes de lien social autour d’un plaisir partagé.

La consommation est encadrée (un maximum par mois est fixée), la qualité contrôlée , l’État a la maîtrise du fonctionnement de ces lieux .

Modèle 3 : Les États-Unis suivant les états. L’état distribue les plants aux cultivateurs, contrôle la qualité, l’accès aux produits, avec une intégration économique.

Nous voyons donc que quel que soit le système, la légalisation est toujours contrôlée. En ce qui concerne les autres produits, beaucoup plus addictifs et dangereux, certains pays ont fait l’expérience de la consommation contrôlée. En Suisse, par exemple, pour les consommateurs dont il est avéré qu’aucune autre alternative n’est possible sur le moment, ceux-ci peuvent bénéficier sur prescription médicale de consommation d’héroïne dans des lieux assurant à la fois la sécurité de la qualité du produit ( évitant le coupage avec des substances potentiellement dangereuses) des conditions sanitaires appropriées , garantissant l’hygiène et évitant la propagation de pathologies . Les autorités de police suisses en charge de la question ont pu assurer, comme il existait cette alternative , la fermeture des scènes ouvertes (lieux de consommation sauvage) la baisse globale des consommations, de la criminalité, et des trafics.

Si le produit utilisé le plus massivement et le moins dangereux reste le cannabis, il est néanmoins possible de mettre en place d’autres formes de régulations et de sécurisations ; pour l’héroïne comme pour la cocaïne, même si pour d’autres produits comme l’exctasy et autres drogues de synthèse, la situation est beaucoup plus compliquée car utilisant le vecteur Internet de manière internationale .

QUELLES ALTERNATIVES SOCIALES FACE A L’ECONOMIE DES TRAFICS ?

Du Canada nous vient l’expérimentation du dispositif T.A.P.A.J. ou Travail Alternatif Payé à la Journée. Il s’agit d’offrir une alternative aux jeunes de plus de 16 ans, consommateurs-revendeurs au « travail »  fourni par la revente de stupéfiants, par un travail facilement accessible, souple et légal en particulier pour les jeunes des cités . Ce dispositif a été mis en place à Bordeaux, Marseille et Montpellier, il est actuellement expérimenté à Toulouse.

Il apparaît que les jeunes se sentent respectés de faire le travail proposé. Bien entendu, il existe d’autres possibilités comme l’embauche dans le cadre de chantiers d’insertion ,de régies de quartiers , ou encore l’accès à des postes de travail permis par l’application de « clauses           sociales » dans le cadre de marchés publics .

Par exemple, des opérations immobilières de rénovation des cités peuvent en fournir l’occasion. Il faut donc viser à proposer également en même temps des alternatives en termes d’insertion sociale et professionnelle qui sont des dimensions tout aussi importantes que la prévention, le soin , ou l’évolution du cadre législatif permettant de nouvelles régulations.

QUELLES PERSPECTIVES ?

Nous avons pu constater l’échec depuis plus de 40 ans de la politique de prohibition mise en œuvre. Nous avons largement le retour d’expériences : augmentation exponentielle des consommations, augmentation des trafics parallèles à celle des saisies, développement de l’économie mafieuse …. La guerre à la drogue n’a pas été gagnée et a conduit à une impasse. Certes, depuis 40 ans , notre société a changé, avec des avancées et des reculs , nous avons pu constater également qu’elle est devenue beaucoup plus addictogène ; on observe une montée des insécurités sociales, de la compétitivité , du culte de la performance, et donc il faut arriver à se dépasser , dans la recherche de l’homme augmenté , du dopage , des consommations de stimulants ou d’anxiolitiques, d’euphorisants, de décontractants………

Il est maintenant temps à partir de ces constats de changer de pied, et donc de politique, de cadre législatif et organisationnel, en étudiant quelles formes de nouvelles régulations seraient adaptées à notre pays , avec quelles étapes.

La mise en place d’une distribution améliorerait la situation sanitaire et diminuerait les risques. Des éventuelles taxes permettraient à l’état de renforcer les actions de préventions et de soins. Les forces de police, dégagées des mobilisations sur la consommation et du petit deal au quotidien pourraient davantage concentrer leurs efforts sur les grands délinquants , organisateurs des trafics.

Car bien sûr, si la situation , espérons le , pourrait être largement améliorée par ces nouvelles régulations , elle n’éteindra pas totalement tous les trafics sur tous les produits , comme pour la cigarette et le trafic transfrontalier et autres, certains rechercheront toujours un produit plus fort , moins cher … Bien sûr . Ce n’est pas une raison pour ne rien expérimenter car , rien ne serait pire que le sur place du maintien en l’état .

Il ne s’agit pas d’agir sur un seul facteur. Car les causes individuelles et sociales sont aussi importantes. Comme nous l’avons vu, l’homme de tout temps a recherché à modifier ses états de conscience, ou soulager sa douleur avec des substances diverses et variées.

Cependant, jusqu’à un passé récent, ces produits, même très toxiques, étaient d’origine naturelle , depuis ces dernières décennies, est apparue l’utilisation de substances chimiques , modifiées et expérimentées à l’infini.

Certaines sont très dangereuses. Le contrôle et la régulation du trafic ne pourra pas concerner toutes les substances, tant elles sont évolutives, et le trafic , à travers internet , difficilement contrôlable aujourd’hui. C’est pourquoi, il ne faut jamais oublier que l’on ne naît pas toxicomane, mais qu’on le devient. On ne décide pas non plus de le devenir. Tant qu’il y aura des consommateurs, il y aura des produits.

La question des multiples causes des consommations de produits qui rendent dépendants reste toujours aussi importante. Nous avons vu l’importance des causes sociales mais aussi n’oublions jamais C. Olivenstein qui soulignait l’importance de la rencontre d’une personnalité avec un produit dans un contexte donné. C’est pourquoi il est tout aussi important de continuer à développer la prévention et le soin diversifié.

En effet, personne n’a la réponse, par contre il existe en France une diversité d’approches , de propositions thérapeutiques qui permettent une offre d’alliances différentes pour chacun , car nous ne sommes pas tous égaux devant la dépendance, chacun pouvant avoir des réactions différentes en fonction des produits . Nous avons vu également l’importance du contexte social, du chômage.                    

C’est pourquoi, à travers son expérience, la commission Cité du Comité de quartier insiste sur l’importance de la médiation dans les quartiers, d’acteurs avertis, et de la nécessité de conjuguer ces multiples aspects dans les réponses à apporter .

Le développement du lien social est une fonction de médiation pour mieux vivre ensemble dans les quartiers. C’est pourquoi nous y tenons tant, persuadés que là ou les habitants s’investissent, quelles que soient les formes, dans l’espace public, la délinquance recule . A partir de ces analyses, de notre engagement auprès des habitants, et après en avoir débattu, le comité de quartier continuera son action, ses propositions et portera son positionnement auprès des habitants et des élus.

 

 

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